Il y a 80 ans, du 16 au 17 juillet 1942, la police parisienne organisait l’une des plus grandes rafles jamais opérée et conduisant à l’arrestation de plus de 13 000 personnes de confessions juives. La plupart mourront ensuite dans les camps de la morts suite à leur déportation…
Le 16 et 17 juillet 2022 ont consacré le 80 ème anniversaire d’un crime d’état contre les juifs citoyens français étrangers, reposant sur la seule volonté de l’état français et les moyens mis en œuvre par la préfecture de police de Paris. C’est ainsi que 12884 hommes, femmes et enfants juifs ont été arrêtés lors de la rafle du Vel d’Hiv par la police parisienne, entassés dans les camps de transit -8000 parqués au Vélodrome d’Hiver à Paris, puis 4000 envoyés à Drancy ou dans le Loiret, à Pithiviers et Beaune-la-Rolande. On y ajoutera d’ailleurs dans cet élan d’ignominie, la rafle de10 000 juifs en zone libre, « Nulle part, écrit Laurent Joly, même à Berlin entre 1941 et 1943 on n’arrêtera autant de victimes en si peu de temps ». Quelques-uns réussirent à s’enfuir au risque d’être abattus sur place, une centaine se sont suicidés, tous les autres ont été livrés à l’Allemagne nazie et déportés à Auschwitz entre le 5 août et la mi-août. Que de temps et d’efforts pourtant aura t-il fallu pour documenter les circonstances et l’organisation de ce crime, et obtenir l’indispensable ouverture des archives. Il faut rendre hommage ici à la détermination des chercheurs militants à l’instar de Serge Klarsfeld, avec une mention toute particulière pour Maurice Rajsfus (qui a vécu la rafle, y a survécu en s’en extrayant miraculeusement et est mort en 2020, en n’ayant eu de cesse de documenter tout au long de sa vie les dérives de l’institution policière, de la guerre d’Algérie jusqu’à la période présente ) et s’étonner du fait que leurs analyses et synthèses pionnières aient rencontré un mur d’indifférence condescendante ou de franche hostilité avant que d’être prises en compte par l’historiographie officielle, comme le déplore l’historien Laurent Joly.
On doit à ce dernier la livraison d’une nouvelle somme sobrement intitulée La rafle du Vel d’Hiv. Paris, juillet 1942 chez Grasset. Il s’agit d’une nouvelle étape dans la déconstruction d’un déni gaullo-mitterrandien, selon lequel « Vichy ne serait pas la France ». On peut tordre le cou à cette entreprise de refoulement national, à plusieurs titres. D’abord ce sont bien les politiciens de la IIIème République qui ont joué la carte de Vichy en votant les pleins pouvoirs à Pétain et de la capitulation face aux nazis. Ensuite, parce que Vichy s’est appuyé notamment sur le zèle et la docilité d’une administration placée sous le signe d’une culture d’obéissance consacrée par la jurisprudence du Conseil d’état sous la IIIème République. C’est bien le continuum IIIème République/Vichy qu’il faut mettre à jour, et c’est le mérite paradoxal de la préfecture de police que de nous avoir a donné dans les faits, une clé d’intelligibilité de cette période. Il faudrait également évoquer la passion modernisatrice des technocrates de Vichy profitant d’une marge de manœuvre inespérée, délivrés qu’ils étaient ainsi des contingences du débat parlementaire. Enfin parce qu’en arrière-plan se dessinait un anti-dreyfusisme revanchard conjugué à un antisémitisme massif et au ressentiment de la bourgeoisie française à l’égard du Front populaire et du « judéo-bolchevisme ». Dans un précédent ouvrage, l’auteur avait su documenter la responsabilité de Vichy, en descendant un à un les échelons de l’administration française, de la préfecture de police de Paris et de ses chefs de bureau dociles, veules ou antisémites convaincus, selon la personnalité de chacun des acteurs ; jusqu’au dernier échelon, celui de la sale besogne de l’arrestation des hommes, jusqu’aux enfants aux femmes enceintes, aux blessés de guerre, dès le petit matin. Et que dire de ces criminels de bureau, parfaitement comptables du crime d’état si ce n’est que passée la phase d’épuration, ils purent profiter des lois d’amnistie de 1951 et de 1953 pour réintégrer la société française et l’administration, opportunément aidés par une justice clémente, jusqu’à l’obscénité. Ce sont toutes ces ambiguïtés qui d’ailleurs interrogent la pureté de cet idéal républicain, dans lequel se drapent nos actuels hiérarques, oublieux des compromissions d’hier ou d’aujourd’hui et mûrs pour celles de demain… Ils ruinent à tout le moins cette ligne de démarcation fictive qui distinguerait et séparerait les fonctionnaires de Vichy et ceux de la « République restaurée ». Le seul nom, maudit soit-il ! de Maurice Papon, témoigne de cette propension de l’état républicain à recycler les assassins de Vichy pour leur faire reprendre du service quand il s’est agi de mater la rébellion algérienne à Paris (17 octobre 1961).
Ainsi, avec la rafle du Vel d’Hiv, la Préfecture de police a connu son sinistre moment d’excellence en matière d’organisation en amont (l’antisémitisme de bureau) et de déploiement d’un effectif policier parisien quadrillant les arrondissements où vivait la population préalablement identifiée, grâce au fichier Tulard (le père de l’historien idolâtre du bonapartisme). Non qu’elle n’ait pas donné déjà l’année précédente la mesure de son savoir-faire, à travers la rafle dite « du billet vert », mais c’était encore sous la tutelle allemande, en qualité de simple exécutante. Cette année-là, pas l’ombre d’un Vent printanier (nom de code qui aurait été donné à cette opération par les allemands), contrairement à une légende bien ancrée. Voici que Vichy -recouvrait sa pleine souveraineté en matière de rationalisation du crime antisémite d’état, faisant de la Préfecture de Police son levier le plus efficace, avec ses milliers de gardiens de la paix déployés pour mener à bien cette sordide opération « 100% made in France », pour la plus grande fierté de René Bousquet, jeune et ambitieux secrétaire général de la police.
On retiendra du livre de Joly, certes les trop rares policiers et commissaires avertissant les familles de la préparation de la rafle, qui ne sauraient exonérer le zèle d’une large fraction de l’institution policière et au-delà, y compris à travers la délation perpétrée par les voisins ou concierges prompts à désigner les personnes cachées ou à fermer leurs portes à des enfants. On notera l’enthousiasme du commissaire du 12ème n’hésitant pas à transformer l’hôpital Rothschild en annexe de Drancy.
Nous disposons là d’une arme absolue contre l’entreprise révisionniste d’un Zemmour, tant la réhabilitation de Vichy permettrait à un néofascisme en expansion de s’affranchir d’un tabou mémoriel qui constitue un ultime obstacle qu’il lui faudrait transgresser. Le travail de Laurent Joly repose sur une documentation en grande partie inédite qui embrasse les procès-verbaux, les biographies des responsables jusqu’au moindre policier ou délateur de seconde zone, les dossiers individuels de carrière, dossiers d’épuration, comme les dossiers individuels des victimes.
Notre organisation ne désertera jamais, face aux vents mauvais qui déferlent, ni le champ mémoriel ni le champ idéologique. L’extrême-droite est aux portes du pouvoir et les gouvernants de l’heure en dépit de la visite présidentielle à Pithiviers ont beau proclamé ainsi leur volonté de lutter contre l’antisémitisme renaissant, c’est pour mieux dans le même temps nourrir un climat d’islamophobie qui va croissant, au risque de mettre en concurrence les mémoires et d’opposer les souffrances.
Pour notre part, nous continuerons à combattre un antisémitisme qui perdure et s’est même aggravé dans la période récente et en même temps lutter contre l’islamophobie et toutes les formes de discrimination.
Enfin, nous souhaitons indiquer à l’occasion des cérémonies du 19 août, notre réserve de principe à l’égard de ce singulier rituel expiatoire de la préfecture de police qui a beaucoup contribué à exonérer l’institution de son rôle central dans l’organisation de la rafle, comme dans la traque de la résistance notoirement communiste et spécifiquement immigrée (traque du groupe Manouchian par les brigades spéciales). Le prochain préfet de police s’honorerait à s’émanciper du mythe « résistancialiste » policier du 19 août, pour aborder frontalement la responsabilité de la préfecture de police durant toute la séquence de Vichy. Non qu’il n’y eût aucune forme de résistance dans la police, mais il conviendrait à tout le moins de ne point en exagérer l’importance et ni de faire de la préfecture de police dans les journées d’août 1944 l’épicentre du combat contre le nazisme, au risque d’exonérer les personnels de ladite préfecture de police de leur responsabilité avérée et documentée, à différents degrés dans l’accomplissement de la sale besogne de l’état français. Ce serait une première étape indispensable pour poursuivre cet effort salutaire de la critique historique et aborder enfin la séquence de la guerre d’Algérie et plus largement le legs nauséabond du colonialisme français
Plus qu’au simple devoir de mémoire, c’est à un travail de mémoire qu’il faut en appeler à l’égard de l’institution où nous travaillons, la Préfecture de police, pour en décrypter la part d’opacité et de refoulement qui perdure et peut faire retour, sous de nouvelles formes, à la faveur d’une situation de crise aiguë à l’instar de celle que nous traversons.
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