Les arrières pensées néolibérales de la loi dite « pouvoir d’achat » ou comment ruiner les comptes sociaux pour réduire les dépenses…
Le 22 juillet au petit matin, la majorité macronienne, n’a pu imposer son projet de loi dit « pouvoir d’achat »que grâce à ‘appoint des groupes LR et RN, avec 341 voix pour, 116 contre et 21 abstentions.
En dépit d’une majorité bien relative, l’exécutif peut s’enorgueillir d’avoir fait adopter la première partie de son « paquet » pouvoir d’achat. On notera avec quelle empressement les députés du RN se prévalant du soi-disant programme social du parti d’extrême-droite ont répondu à l’appel de l’ »esprit de responsabilité », comme s’en est félicitée Mme Borne. « De réels petits gains de pouvoir d’achat » s’est exclamé Jean-Philippe Tanguy, au nom du parti néofasciste laissant ses préoccupations sociales à la buvette de l’Assemblée, pour mieux s’installer dans la posture de l’opposition sérieuse, apte à gouverner.
Il convient pour déconstruire l’argumentaire lénifiant du gouvernement distillé avec complaisance par les principaux médias avant même l’ouverture des débats à l’assemblée, de revenir sur la cohérence d’un certain nombre de mesures qui entraînent des exonérations de prélèvements sociaux, rognant ainsi sur les recettes de la Sécurité sociale.
Au motif d’agir pour la préservation du pouvoir d’achat des français, le gouvernement a choisi de mettre la focale sur les prix, avec le « bouclier tarifaire » et la remise à la pompe ainsi que sur les revenus.
S’agissant des fonctionnaires, on a déjà commenté ici l’escroquerie d’une revalorisation de 3,5% après un gel d’une décennie, alors que le taux de l’inflation projeté sur l’année pourrait avoisiner les 7%….
Il s’agit de constater les niveaux de gains ou de pertes réels au regard de l’accélération des prix. Ainsi contrairement au raisonnement fallacieux de Guerini, selon lequel il n’y aurait pas, ou presque pas de perte de pouvoir d’achat pour les fonctionnaires, la revalorisation ne du point d’indice ne s’appliquant qu’à compter du 1er juillet, il en résulte que la hausse moyenne sur l’année considérée ne sera donc que de la moitié de la hausse annoncée soit 1,75%, l’inflation annoncée par l’Insee dans sa dernière note de conjoncture pour l’ensemble de l’année étant de 5,5% en moyenne. La baisse réelle du traitement des fonctionnements sera donc cette année de 3,75%. Même en prenant en compte les hausses individuelles de 1,5% qui ne concernent pas tout le monde, la perte sèche de pouvoir d’achat serait implacable près de 2,25% sur l’année. Il s’agit en vérité d’une violence sociale d’une grande acuité de l’État contre ses agents en validant un recul massif du niveau de vie des fonctionnaires, le cumul des pertes de pouvoir d’achat n’étant nullement pris en compte par cette politique de Gribouille.
Et que dire de la hausse consentie des loyers de 3,5% qui revient à faire porter aux locataires, et donc aux salariés, une partie importante de la charge de l’inflation au bénéfice des propriétaires, ce qui revient à consacrer le transfert du coût de l’inflation, du travail vers la rente, le travail étant mis à contribution pour assurer les revenus de la rente. Ceci est d’autant plus scandaleux, qu’une récente étude de l’Insee montre que les logements loués appartiennent le plus souvent à des ménages multipropriétaires (75% parmi les 10%les plus riches et 58,3% sont identifiés comme aisés ou très aisés).
Quant au relèvement des prestations sociales, avec la hausse du montant des pensions de 4% en juillet, les mêmes réserves s’imposent à l’égard du système d’addition gouvernemental plus qu’approximatif . Les retraites ont été augmentées de 1,1% en janvier en vertu d’un mécanisme d’indexation rendu obsolète puisque en octobre 2021, les prix étaient déjà en hausse de 2,6% sur un an, selon l’Insee. En vérité, entre janvier et juillet les retraités ont perdu chaque mois du pouvoir d’achat (1,8point en janvier, 2,3 en février, 3,4 en mars jusqu’à 4,8 points en juin, la hausse promise pour juillet ne venant que réduire la perte sur la seconde partie de l’année, alors que l’inflation atteindrait 6,8% en décembre. La vraie hausse des pensions serait ainsi de 3,12% en moyenne sur l’année soit une perte nette de 1,88 point de pouvoir d’achat. Malgré la tentative des oppositions d’obtenir une revalorisation des retraites par le biais d’un amendement glissé dans la loi de finances rectificative, permettant une hausse de pensions de 5,5% plutôt que de 5,1% comme prévu, la majorité macronienne sous la houlette de l’ineffable Bruno Le Maire est parvenue à faire rétablir le l’état précédent du texte, par le vote d’un nouvel amendement.
Il en va de même pour les prestations sociales qui avait bénéficié d’une meilleure revalorisation en janvier (1,8%), la hausse moyenne étant de3,84%, soit 1,66 point de perte sèche de pouvoir d’achat moyen.
Faudrait-il attendre un nouvel ajustement, rien n’est moins sûr d’autant que la musique de l’assainissement budgétaire se fait déjà entendre, avec l’évocation de la fameuse « côte d’alerte » pour les finances publiques et la volonté de revenir dans les clous de l’orthodoxie budgétaire soit 3% du PIB, à l’horizon 2027. Le gouvernement entend bien briser la demande par un tour de vis budgétaire, un refus de tout retour à l’indexation salariale et une sous-indexation générale des prestations sociales. Il en va de l »application de la vieille recette de l’économie néoclassique : réduire l’excès de la demande, revenir à un taux de chômage dit d’équilibre, à l’instar de la demande formulée par Larry Summers aux États-Unis qui en appelé le 27 juin, à une hausse du chômage pour faire baisser l’inflation.
En France, on mesure les effets désastreux de cette politique compte tenu d’une demande déjà très faible, la consommation s’étant affaissée de 1,5% au premier trimestre, alors que les banques centrales entament un cycle de durcissement monétaire.
De l’ensemble du dispositif on retiendra une préoccupation centrale qui vise à ne surtout à ne pas augmenter les salaires, C’est tout l’enjeu de l’article premier du texte, prévoyant « l’instauration d’une prime de partage de la valeur ». Il s’agit en fait de la nouvelle dénomination de la prime exceptionnelle du pouvoir d’achat (Pepa) créée, on s’en souvient, pour répondre supposément à la colère des gilets jaunes et reconduite chaque année, depuis la crise sanitaire. Cette mesure sera pérennisée et son plafond triplé : jusqu’à 3000 euros par salarié quelque soit leur rémunération, à l’instar des vœux formulés par le patronat, et même 6000 euros dans les entreprises ayant mis en place un accord d’intéressement. Le gouvernement a concédé une règle temporaire : les primes versées avant le 31 décembre 2023 à des salariés percevant moins de trois SMIC seront exonérés de CSG, CRDS et d’impôt dur le revenu. Certes ces mesures y seront ensuite soumises. L’exécutif entend ainsi généraliser et renforcer au maximum une politique d’intéressement entamée lors du premier quinquennat y compris par l’incitation fiscale (modification des conditions d’application du forfait social par la loi Pacte de 2019). Il faut bien noter que l’intéressement demeure essentiellement l’apanage des grandes entreprises (70% des structures de plus de 1000 salariés, la moité des sociétés de 250à 499 salariés 12% pour celles entre 10 et 49 salariés et 5% des moins de 10 salariés. En 2018-2019, 17% des entreprises de moins salariés avaient versé la prime dite Macron, contre 58% de celles de plus de 1000 salariés, soit au total 5 millions de salariés en ont bénéficié pour un montant moyen de 401 euros pour la période indiquée, et 506 euros environ en 2021. Ce montant devrait progresser avec la loi pouvoir d’achat, puisque le périmètre des salariés éligibles se trouve désormais étendu.
En clair, en choisissant de tripler le plafond des primes, le gouvernement veut en faire profiter les plus aisés qui sont les moins pénalisés par la vie chère.
Ces primes vont de surcroît peser négativement sur les comptes publics. C’est même le Haut conseil des finances publiques dans un avis du 7 juillet qui tire la sonnette d’alarme : « Les prélèvements assis sur les salaires (cotisations sociales, prélèvements sociaux, impôts sur le revenu) pourraient également être amoindris par un recours plus important que prévu des entreprises à des instruments de rémunération exonérés de prélèvements, tels que la « prime Macron », le forfait mobilité durable ou la prime de frais de carburant ».
Ainsi au lieu d’augmenter les salaires, les employeurs sont incités de se contenter de verser des primes. Cet effet d’aubaine est remarqué par l’Insee constatant que « les salaires (hors prime exceptionnelle) ont plus faiblement progressé entre le premier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019 dans les établissements ayant versé la prime que dans les autres ».
Il n’est jusqu’au Conseil d’État de se montrer dans son avis consultatif du 8 juillet, vigilant en suggérant au gouvernement d’être attentif à la mise en place de la prime Macron, en particulier au sujet de la règle temporaire d’exonération (CSG, CRDS et IR) pour ceux qui touchent moins que 3 SMIC jusqu’à la fin 2023 afin « de s’assurer de sa contribution effective à la protection du pouvoir d’achat des salariés aux revenus modestes ». Ces milliards d’exonération de cotisation pourraient permettre au gouvernement d’organiser à terme le démantèlement de notre système de protection sociale, déjà mise à mal par les politiques conduites. Il convient à tout le moins d’être attentifs aux compensations des exonérations, sachant que Macron y a déjà dérogé lots du précédent quinquennat, transgression de cette obligation ayant laissé un trou de 2,8 milliards d’euros dans les comptes de la Sécurité sociale. Quoique la loi oblige à procéder à de telles compensations de ces exemptions dérogatoires, il est à craindre que cette politique d’exonération systématique et de promotion des primes en lieu et place de l’augmentation des salaires et des prestations sociales, consiste à réduire volontairement les recettes pour mieux justifier, dans un second temps la baisse des dépenses.
On voit ici l’ensemble des menaces qui se dessinent à la rentrée. En mettant en avant le « pouvoir d’achat », le gouvernement et la classe dominante entendent bien rester sourds aux revendications relatives aux augmentations de salaire et de prestations salaires. Pire, ils organisent en cassant la demande une récession qui justifiera les politiques austéritaires de demain.
Face à cela, les salariés du public comme du privé doivent répondre par un puissant mouvement d’ensemble. Seul la constitution d’un tel front social peut permettre de mettre en échec ce gouvernement de circonstances mal élu et démasquer ses alliés du RN, des imposteurs prétendant défendre les milieux populaires « de bonne souche »..
Cet enjeu sera au cœur de la campagne des élections professionnelles.
Dès à présent il faut se préparer à organiser le « tous ensemble » dont la crise sanitaire nous a privés.