Mise en place de l’ANEF à la Préfecture de Police : la CGT vote contre !!!

Le nouvel organigramme de la délégation à l’immigration (DIM) nous a été présenté pour avis lors du dernier comité technique de la DIM. Intégrant les conséquences du déploiement de l’ANEF (administration numérique des étrangers en France), nous avons bien évidemment voté contre. Vous trouverez ci-dessous notre déclaration liminaire…

Monsieur le préfet, Monsieur le directeur et vous toutes et tous mes chers collègues.

 Notre organisation syndicale, vous le savez déjà, s’efforce d’inscrire l’ensemble de ses positions dans une cohérence d’ensemble.

Dès le début de la mise en œuvre de l’ANEF, nous avons exprimé notre désaccord fondamental à l’égard de cette réforme. Personne ne sera étonné en conséquence, que nous persistons à la considérer comme néfaste, tant pour les conditions de travail de nos agents que pour la qualité du service rendu à l’usager étranger, en l’espèce.

L’ANEF demeure pour nous emblématique des impasses d’un état plate-forme  qui, dans les faits, contrevient au principe d’égal accès au service public, situation d’ensemble déplorée par la Défenseure des droits notamment à l’égard dudit programme de transformation de l’administration, intitulé  « Action Publique 2022 »,  consacré par 212 démarches numérisées  (État, organismes de sécurité sociale, collectivités), pour atteindre l’objectif de 100% de dématérialisation cette année et dont la présente réforme ne constitue qu’une déclinaison, dédiée au droit des étrangers.

La connectivité, entendue comme capacité à avoir des usages connectés, devient une condition sine qua non de l’accès aux démarches administratives ; Elle défavorise objectivement les publics éloignés du numérique, la dématérialisation génère des inégalités de fait et entraîne une rupture d’égalité et de continuité devant le service public, comme l’a fortement rappelé la Défenseure des droits.  Ainsi de déplorer, à travers deux rapports successifs le déploiement « à marche forcée » et ses effets de mise à distance voire d’exclusion de certains de ses usagers et y pointant un risque de fracture territoriale accrue conjuguée à une fracture sociale et culturelle, ainsi que l’insuffisance dans l’accompagnement, et le risque d’un basculement vers le secteur privé et payant.

Nous mesurons bien les efforts déployés par vous-mêmes, Monsieur le préfet et Monsieur de Manheulle pour convaincre les représentants du personnel et leurs organisations du bien-fondé de la démarche. Quelles que soient vos précautions oratoires et la sincérité de votre argumentation, l’ANEF n’échappera pas aux écueils précités. Pire, elle peut contribuer à empêcher nombre de ressortissants étrangers à bénéficier de l’accueil qu’ils sont en droit d’attendre, dans un contexte électoral où les signifiants « étrangers », « migrants » deviennent les marqueurs idéologiques obsessionnels d’une extrême droite plurielle, en proie aux surenchères xénophobes les plus compulsives.

Mais revenons aux faits et seulement aux faits !

Il n’est que de mesurer l’intensité du contentieux auprès des tribunaux administratifs, dont l’activité est absorbée pour moitié par les référés mesures utiles déposés, à juste titre, par les associations telles que la CIMADE, la LDH, le GISTI pour se convaincre de la fragilité d’un dispositif, qui implicitement contraint les usagers à accepter une relation avec l’administration réduite de fait au numérique. Or, si l’on peut se satisfaire d’une réduction des files d’attente en préfecture, cette option numérique n’a de sens que d’améliorer la qualité de traitement des demandes des usagers et non de rendre quasi impossible la prise de rendez-vous.

Et que dire de la maquette dédiée à cette organisation ? Une ambition centrale inspire la démarche, vise à créer les conditions d’une évolution des métiers consacrée par l’idéal-type de l’agent instructeur -valideur, conforme aux standards de l’état plate-forme, en lieu et place de l’agent de guichet, reliquat du passé.  Certes la DIM a fait montre de prudence en restant maîtresse d’un agenda distinct des évolutions claironnées à la hussarde par l’administration centrale et en choisissant de planifier les « briques » qui se déploieront dans l’ANEF, sur le fondement d’une méthode dite de la préfiguration.

Pour autant, ce nouvel agent, supposément en phase avec les critères d’agilité de la start-up nation n’aura de perception du parcours de l’usager, quelle que soit sa situation, qu’à travers la médiation d’un dossier numérique, sans possibilité d’interagir directement avec lui, comme c’était le cas dans la configuration antérieure. De surcroît, pèsera ainsi sur les épaules de l’agent généralement de catégorie C, la responsabilité de la validation, avec un mince filet de sécurité, au risque de devoir rendre des comptes en cas d’oubli ou d’erreur inévitable à son chef de bureau. Outre le risque d’appauvrissement d’un service public ainsi reconfiguré, tout laisse craindre une explosion des risques psychosociaux potentiellement exacerbés par la mise sous tension des agents.

Et que dire du format de l’accueil réduit à 58 agents dans cette nouvelle configuration, sera-t-il à la hauteur la demande réelle ? Rien n’est moins sûr !

Quant à l’accompagnement des dits agents, si des groupes de travail ont été effectivement mis en place, comme vous êtes plu à nous le souligner, force est de constater qu’ils n’ont été organisés que sur la base d’un échantillon restreint des agents concernés, et que l’information est loin d’avoir irrigué l’ensemble de l’organisation actuelle.

Et pour ce qui est du volet RH les garanties indemnitaires et indiciaires, voire de mobilité annoncée pour stimuler ce passage à l’age numérique sont loin de satisfaire les attentes des agents, invités à basculer dans ce nouveau dispositif dès le 1er juin 2022.  Ce sont en vérité beaucoup d’inconnues qui nous incitent à la plus grande prudence, d’autant que le contentieux engendré par cette difficulté d’accès au planning des rendez-vous devrait inciter le conseil d’état à prendre une décision de principe susceptible, nous l’espérons de refroidir les ardeurs digitales du prochain exécutif. D’ailleurs le positionnement des CRE, certes à ce stade recentré sur les missions d’accompagnement physique au titre des PAN, (point d’accès au numérique) et de la metabox, ne constituerait-il pas l’amorce d’un plan B de repli, visant à recréer les conditions d’un retour à un accueil physique digne de ce nom ? Nous en formons ici le vœu !

A cet égard, la CGT n’aura de cesse de mener la bataille, pour garantir une indispensable pluralité de modalités d’accès aux services publics, y compris par l’adoption d’une disposition législative au sein du code des relations entre les usagers et l’administration imposant de préserver cette diversité de modes d’accès, pour qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée.

La bataille pour la qualité de vie au travail et la défense des conditions de travail des agents est indissociable de la qualité du service rendu à l’usager, la dégradation des conditions d’accès au service public transformant, les juridictions en guichet de pré-accueil, entraînant la perte de sens des missions de service public et la dégradation du même coup des conditions de travail de nos collègues.

Pour conclure par une note de culture générale ironique, nous souhaiterions évoquer un tableau de 58 cm de hauteur sur 32,5 cm de largeur, réalisé aux alentours de 1500 par un maître néerlandais et exposé au musée du Louvre.

Intitulé la Nef des fous, l’œuvre de Jérôme Bosch est généralement interprétée comme l’illustration de la folie qui a gagné tous les personnages. Il n’y a ni trompeurs ni trompés, seulement des fous ou des hommes assez insensés pour s’embarquer sur un navire sans voile ni gouvernail et dont une cuiller énorme qui pourrait faire office de rame ou de godille est abandonnée…

De la Nef à l’Anef, vous nous permettrez ce petit jeu de langage, même si vous demeurez maîtres à bord…

Pourrait-on en effet espérer illustration plus puissante pour résumer cette frénésie numérique qui s’est emparée des sommets de l’état, au motif d’engager au pas cadencé la dématérialisation des procédures, y compris en cette matière si sensible du droit des étrangers ?

Et c’est pourquoi nous voterons Non à la déclinaison organisationnelle de cette réforme appliquée à la DIM.

 

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