Depuis plusieurs décennies le capitalisme a trouvé dans cette nouvelle configuration qu’est le néolibéralisme, à travers ses différentes variantes une incontestable capacité d’initiative, quelles que soient les crises sociales, économiques et financières auxquelles il a été exposé. Cette plasticité fait de ce système économique et des fondés de pouvoir chargés de mettre en œuvre les dispositifs de gouvernance adaptés à ses intérêts, un adversaire qui dispose hélas d’une longueur d’avance stratégique sur le mouvement social considéré dans son ensemble, et en premier lieu notre confédération.
Inutile de revenir sur les conséquences de la crise de 2008 notamment dans la zone euro pour prendre la mesure de cette capacité à engager l’épreuve de force, y compris dans le choix de l’agenda de la contre-réforme qui s’est hélas illustré par la longue liste des défaites subies par le mouvement ouvrier.
Pour autant, nombreux d’entre-nous sont lassés de subir la multiplication de ces offensives dévastatrices alors qu’il conviendrait de les anticiper pour créer un véritable rapport de forces social.
Il en résulte évidemment un discrédit total pour celles des organisations qui ont choisi de privilégier au sein du paysage syndical une démarche d’accompagnement et de recherche systématique de compromis qui dévoie l’action militante et accentue la désespérance des salariés. Si la CGT demeure heureusement immunisée contre cet état d’esprit de renoncement et de capitulation, reste à clarifier sa position à l’égard des formes institutionnalisées d’un partenariat émollient qu’il soit national ou européen qui brouille l’image du syndicalisme de lutte des classes et suscite au sein d’un salariat précarisé soumis à la violence du capital des interrogations légitimes.
Tandis que la société encore meurtrie par la première vague de la crise sanitaire se trouve confrontée au spectre d’un véritable carnage social, avec la multiplication des PSE et des dépôts de bilan en cascade le moins que l’on puisse dire c’est que la direction confédérale, à la remorque des événements gravissimes qui se profilent, s’avère très en deçà du niveau d’expression qui devrait être celui d’une organisation dont l’histoire s’est forgée dans feu de la lutte des classes.
Ainsi tandis que Philippe Martinez s’associait avec un ensemble d’associations dont ATTAC à une réflexion sur le monde d’après, en prenant en compte les impératifs écologiques de préservation du vivant, marquant une inflexion souhaitable à l’égard du vieux modèle productiviste, il omettait néanmoins de préciser que cette nécessaire clarification liant la question sociale à la question environnementale impliquait évidement de rompre avec le mode de production capitaliste.
Pire, quelques temps après il apportait un satisfecit au plan franco-allemand, comme si la CGT devait se faire l’arbitre des élégances intergouvernementales, sans discuter du contenu social et économique de ce dispositif et des modalités de sa mise en œuvre, notamment sur le plan démocratique.
Or, que constatons nous, à peine terminée la séquence piteuse des municipales, la macronie se met en ordre de bataille, non seulement pour préparer l’échéance de 2022, mais surtout pour déconfiner son programme d’attaque sociale généralisé qu’il s’agisse de la retraite par répartition, de la transformation de la fonction publique ou de l’assurance chômage, d’augmentation de la durée du travail, dans un contexte de tragédie sociale annoncée et d’explosion du chômage de masse.
La crise que traverse le mode de production capitaliste, et notamment la phase récessive désormais attestée, était annoncée sur le dernier trimestre 2019, le ralentissement de la production mondiale étant perceptible depuis 2017 ! A l’évidence s’il est vrai que la pandémie a ajouté une composante spécifique à la crise, les options les plus violentes sur le plan social et les plus autoritaires en matière de style de gouvernance étaient déjà envisagées avant le déclenchement de la crise sanitaire.
Face à cette perspective de destruction du corps social annoncée, allons-nous demeurer attentistes, continuer à apporter un crédit au « dialogue social » par notre aimable présence à des initiatives aussi fallacieuses que le Ségur de la Santé.
Allons-nous, à l’instar du mauvais positionnement initialement adopté à l’égard des gilets jaunes, rater le déclenchement d’un mouvement populaire qui aurait pu en synergie avec l’ensemble des salariés contraindre Macron à jeter l’éponge ?
Allons-nous de nouveau retomber dans la stratégie des journées d’action isolées, à l’instar du 17 septembre 2020, stratégie suivie depuis des années et qui nous a systématiquement amenée vers des reculs sociaux ?
Car s’il est vrai que la société peut se mettre en mouvement par elle-même autour d’un certain nombre d’enjeux, le rôle de la CGT dans une période aussi grave est de jouer un rôle de catalyseur en créant les conditions du rapport de forces, susceptible de mettre en échec le bloc social et politique dominant.
De tels impératifs appellent à renouer avec les exigences de la démocratie interne, et de fonder les choix d’orientation indispensable pour faire face aux coups terribles qui s’annoncent sur un vrai débat riche, fraternel, sans tabous.
La gravité de la situation exige aussi de prendre la mesure de l’ensemble des formes de la contestation sociale, non pour disperser nos forces de manière brouillonne mais pour mieux articuler les luttes sociales au sein du lieu de travail avec les actions qui surgissent dans la vie locale autour des questions qui touchent à l’alimentation, au logement à toutes les formes de discrimination , au déchaînement des violences policières et étatiques et aux initiatives dédiées à la préservation des équilibres environnementaux menacés par la logique d’accumulation du capital !
Enfin le besoin d’une redéfinition complète des modalités d’exercice d’une véritable démocratie implique de faire de la CGT un laboratoire d’élaboration d’une démocratie sociale vivante qui débouche sur un renouvellement des pratiques.
Cette exigence démocratique à l’évidence doit viser à renforcer l’unité de la CGT, comme outil de la lutte des classes et non d’exacerber les tensions ou de se laisser aller à des attaques ad hominen !
Quant à la forme de cette initiative démocratique, plusieurs options s’offrent à nous : congrès extraordinaire, assemblée générale de l’ensemble des organisations.
Il est vital que la parole et le questionnement tactique et stratégique des bases militantes confrontées à la violence quotidienne du capital puissent, non seulement se faire entendre au titre du témoignage mais dans l’expression des aspirations et des orientations portées démocratiquement par les militantes et les militants mandaté-e-s par leurs structures.
La CGT a besoin de se réarmer pour mettre en œuvre un cap stratégique face à la violence du monde d’après qui se dessine. La Macronie a fait clairement le choix de la lutte des classes.
A nous de montrer au maître des horloges que c’est nous qui déterminerons l’agenda social !
Il y a urgence !