Réforme de la SNCF : note d’explication

La guerre des opinions est en cours autour de la réforme de la SNCF. Nous vous retranscrivons ci-dessous un post facebook répondant point par point aux poncifs actuels tentant de nous présenter comme inéluctable et nécessaire cette réforme. Chacun doit pouvoir se faire une opinion éclairée et pas seulement ingurgiter la propagande gouvernementale. Merci à l’auteur pour ce travail de fond.

1 – « Moi j’pense qu’il faut réformer la SNCF ».

Ah, celui-ci de poncif, qu’est-ce que je peux l’entendre souvent, entre le classique « on ne nous dit pas tout » et un petit « il fait beau mais le fond d’l’air est frais ». Réformer ? Pourquoi ? Comment ? Vous n’aurez jamais la réponse à ces questions, si ce n’est un « bah ils arrêtent pas de le dire à la télé » désarmant de transparence et d’honnêteté. Est-il utile de préciser que le fait que les médias centralisent cette actualité autour du statut des cheminots occulte totalement les contours (il faut bien l’avouer assez flous) de la réforme et ses conséquences plus que dramatiques ? Aussi, il est fort probable que nos « six Français sur dix » soient bien incapables de citer la moindre mesure relative à ce projet, projet articulé autour du rapport réalisé par le sinistre Jean-Cyril Spinetta, ex-PDG d’Air France, dont il a organisé la privatisation. On a pu constater depuis à quel point la situation de l’entreprise s’est améliorée. Oui, c’est ironique, et oui je m’égare. Comme vous êtes bienveillants et parfaitement informés, vous expliquerez alors les sombres desseins de ce rapport Spinetta (qui corrèle totalement avec la réforme de la SNCF) :

– La fermeture de 9000 km de lignes déficitaires (environ un quart du réseau, un détail de l’histoire) et leur remplacement par des lignes de bus.

-La transformation du statut de la SNCF en Société Anonyme, étape incontournable en vue de sa privatisation.

– L’ouverture à la concurrence. Pour les TER, chaque ligne sera gérée par un opérateur privé unique, choisi via un appel d’offres. Concernant les grandes lignes, différents opérateurs privés feront rouler leurs trains sur les mêmes voies.

– La remise en cause des droits des salariés définis par la convention collective (le fameux statut de cheminot).

– La généralisation de l’embauche d’employés en CDD dans le but assumé de faire baisser les salaires.

– Le rachat de la dette de la SNCF par l’état français (47 milliards) et la recapitalisation (4 milliards) de la branche « fret » déjà ouverte à la concurrence.

Source : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/…/2018.02.15_Rappo…

Evidemment à cet instant, notre aspirant économiste va se rendre compte de la vacuité de ses connaissances sur le sujet. Mais n’oubliez pas que nous avons face à nous un être humain, Français de surcroît : il est donc sûr de son fait et va puiser dans les méandres de sa mémoire quelques arguments qui, à son sens, feront mouche, à commencer par le plus pragmatique…

2 – « Le réseau est mal entretenu, il y a toujours des retards »

Il se trouve que j’aime bien les sports collectifs et parmi les maximes un peu bateaux, il en est une que je trouve particulièrement juste : « on ne change pas une équipe qui gagne ». La SNCF est, en 2017, classée cinquième meilleur réseau ferroviaire mondial. Devant, nous retrouvons la Suisse qui fait la taille de la région Rhône-Alpes, Hong Kong et Singapour qui ont grosso modo la superficie de la commune de Arles et ces connards de Japonais qui font tout mieux que les autres. On s’est tous marrés la première fois qu’on a entendu la traditionnelle blague annuelle de la SNCF qui vous souhaite une « bonne année 1987 », mais le vrai monde de la vérité véritable, ce n’est pas un sketch de Tex.

Source : https://fr.statista.com/…/…/qualite-reseau-train-pays-monde/

3 – « La dette de la SNCF est abyssale »

Erreur à ne pas faire : confondre dette et déficit. La SNCF est loin d’être en déficit, mais elle est bel et bien endettée. Spoiler, si la dette ne s’éponge pas, ce n’est pas à cause des cheminots. Elle est évaluée à environ 50 milliards d’€ en moyenne (les chiffres sont tellement variables d’une source à l’autre qu’il convient de les manipuler avec précaution). Mais penchons-nous un peu sur les raisons de cette dette. Et là, mouillez-vous la nuque, parce qu’on va parler histoire.

Au XIXe siècle, différentes compagnies ferroviaires privées ont développé le réseau sur le sol français. Et comme l’histoire est une éternelle leçon non-apprise, sachez que la mauvaise gestion financière de ces organismes (privés, j’insiste) a conduit l’Etat à s’impliquer en 1921 avec la création d’un fond commun pour venir en aide aux entreprises alors largement déficitaires. La version officielle retient que la Première Guerre Mondiale est la raison de cette décrépitude, il n’en est rien. L’estocade intervient avec le Krash de 29. Le déficit cumulé de ce fond atteint alors le plafond symbolique des 30 milliards de francs. A la fin des années 30, le Front Populaire décide alors de prendre le taureau par les cornes et de nationaliser le réseau. C’est ainsi que le 1er Janvier 1938 naquit la Société nationale des chemins de fer français (Oui, c’est ce que signifie l’acronyme SNCF)… Le fait que la SNCF est endettée est donc pour ainsi dire inscrit dans son ADN. On notera ici qu’une mauvaise gestion PRIVÉE a contraint l’Etat à nationaliser. Pour rester dans les expressions populaires, on appelle ça « l’histoire qui bégaye ».

Ces dernières années cependant, nous assistons à une situation paradoxale où la dette de la SNCF se creuse de manière spectaculaire tandis que son chiffre d’affaires est en constante augmentation : le groupe SNCF a publié d’excellents résultats pour 2017, avec un chiffre d’affaires en hausse de 4,2 %, qui atteint 33,5 milliards d’euros et un bénéfice net de 1,33 milliard d’euros. Il se trouve que plus de la moitié de la dette est la conséquence d’investissements qui seront rentables à moyen-terme. La ligne du TGV-Ouest par exemple, quémandée de longue date par le Maire de Bordeaux, a coûté plus de 8 milliards d’€ à la SNCF. Il est curieux de constater qu’Alain Juppé est d’ailleurs historiquement favorable à la privatisation de la SNCF en arguant que l’Etat ne peut plus prendre en charge une dette qu’il a plus que contribué à creuser. En même temps ce déchet privatiserait ses propres testicules si ses éjaculations étaient taxées.

Bien entendu, nos « souverains » abusent d’un défaut de langage (dette/déficit), puisqu’il est prévu que l’Etat rachète la dette de la SNCF. Donc si vous pensez que cette réforme va faire baisser vos impôts, vous allez aux devants d’une cuisante déconvenue.

Source : https://www.sncf.com/fr/groupe/finance

4 – « Les cheminots aussi, ils font chier avec leur statut »

Là, je rigole jaune. Le premier statut des cheminots date des années 20 et était effectivement adapté à la « pénibilité » (et l’espérance de vie qui va avec) de ce métier à l’époque. Sauf que vous vous doutez bien qu’en un siècle, il a largement évolué depuis. Donc nous allons lister ici les avantages « incroyables » liés au statut de cheminot (qui ne concerne pas seulement les conducteurs de train mais aussi les contrôleurs, les cadres, les agents de maîtrise, et les agents de bureau…)

– Le statut de cheminot met les agents de la SNCF à l’abri d’un licenciement économique puisqu’il prévoit seulement trois cas de départ : la démission, la retraite ou la radiation… Et c’est le cas pour l’ensemble de la fonction publique.

– Les agents de la SNCF ont vingt-huit jours de congés payés par an, soit un jour de plus que prévu par le code du travail. Les enfoirés, ils ont un jour de plus que les autres, coupons-leur la tête. Notons que les « cheminots » font les « 3 huit » et ont pour la plupart un planning variable d’une semaine à l’autre (et statistiquement un taux de divorce plus élevé que la moyenne nationale pour des raisons probablement connexes).

– Parlons thunes : le salaire brut mensuel moyen des cheminots est de 3 090 euros pour un temps complet. C’est un peu plus que le salaire mensuel moyen en France : 2 912 euros brut en 2013. Grosso modo ils touchent 100 balles nets de plus, sachant que la SNCF précise que plus de 60% de ses effectifs émarge en réalité aux alentours de… 2 000€ brut, soit à peu près 1600€ nets.

– Les cheminots peuvent partir à la retraite plus tôt que la majorité des employés français… 52 ans pour les conducteurs, 57 ans pour les autres… Mais, il y a un mais : la durée de cotisation pour toucher une retraite à taux plein ayant été progressivement relevée pour être alignée sur celle du régime général, de plus en plus de cheminots subissent une décote (une pension de retraite moins élevée). Conséquence : la majorité repousse aujourd’hui le départ à la retraite, tant et si bien que nombreux sont ceux qui se retirent du marché du travail à… 62 ans.

Je ne vais même pas revenir sur les réductions des titres de transports parce que dans toutes les entreprises, tu as des avantages liés à l’activité de ta boîte. Est-ce qu’un garagiste va payer la révision de son véhicule ? Est-ce que vous pensez qu’un salarié d’Engie va payer la même facture d’énergie que vous ? De manière générale, je ne comprends pas ce besoin des gens à vouloir tout niveler par le bas. Qu’est-ce que ça peut vous foutre que quelqu’un d’autre parte en retraite plus tôt que vous (sachant que ce n’est même pas le cas, comme le démontrent les audits internes de la SNCF, très faciles à retrouver en utilisant la putain de barre de recherche !) ?

Source : https://www.sncf.com/…/HTML-statut-cheminot-qu-est-c…/789234

5 – « L’Angleterre et l’Allemagne* ont déjà réformé leurs rails »

… Et ils pleurent tous les jours du sang, surtout les Anglais.Vous voulez privatiser les rails ? Si vous pétiez déjà un câble des retards, vous allez bientôt parler kurde… Ah et, si vous vivez dans des régions périphériques, oubliez votre ligne de proximité et passez le permis. Ce sera génial, vous allez reprendre la voiture comme vos grands-parents. A vous les bonheurs simples : écouter Rire & Chansons dans les bouchons, faire exploser votre empreinte carbone, péter votre budget avec l’essence, l’assurance, les coûts d’entretien du véhicule et les péages (la tentation de faire un parallèle avec les Autoroutes et Vinci est grande, mais il me faudrait alors écrire un bouquin aussi épais que les Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand)… Sans oublier les risques d’accidents : amusez-vous à comparer le nombre de gens tués sur les routes et ceux à cause d’accidents ferroviaires, ça va vous vacciner directement contre la réforme…

Sources :

– La qualité du réseau britannique : https://www.latribune.fr/…/au-royaume-uni-la-privatisation-…

– Nombre de décès sur les routes (2017) : http://www.lemonde.fr/…/securite-routiere-le-nombre-de-mort…

– Accidents ferroviaires graves (2013) : http://www.lemonde.fr/…/combien-de-morts-chaque-annee-dans-…

6 – « Le monopole c’est pas bien… »

… « Avec l’ouverture à la concurrence, les prix vont baisser. Pas vrai ? ». Comment réprimander une naïveté aussi touchante ? Vous savez que depuis 2007 EDF-GDF n’existe plus ? Le marché de l’énergie est ouvert à la concurrence depuis dix ans et depuis, les factures ont plus que doublé. Oh, les fournisseurs alternatifs proposent bien sûr un tarif « extrêmement avantageux », du genre 5% de réduction sur le prix du Kw/h, soit quelques euros sur votre facture annuelle. Formidable, cette absence de trust. Petit détail piquant : en 2017, un Français sur deux ignorait qu’EDF n’est plus une entreprise publique. Oh, et si le réseau est encore sous gestion publique, soyez certains que, tapis dans l’ombre de votre ignorance, certains planifient déjà la sous-traitance d’Enedis (ex-ERDF). Si vous n’êtes pas du genre romantique, faites un effort, parce que vous allez en passer des dîners aux chandelles quand la pluviométrie sera un peu supérieure à la moyenne.

Sources :

– L’ignorance de la privatisation d’EDF-GDF) : http://www.lefigaro.fr/…/20010-20171017ARTFIG00227-50-des-f…

– La crainte de la privatisation d’Enedis : http://www.lemonde.fr/…/edf-les-syndicats-redoutent-une-pri…

Je pourrais continuer très longtemps encore, étayer davantage. Je vais tout de même m’arrêter là, parce que j’ai autre chose à foutre que d’enfoncer des portes ouvertes gondolantes.

En bref : éteignez votre téléviseur, lisez des livres, recoupez les sources et brillez comme un diamant fou. La vie est trop courte pour être con.

EDIT (*) : J’ai oublié de préciser pour l’Allemagne : l’Etat a racheté la dette avant de privatiser. Dans le genre « allez vous faire shampouiner les yeux avec de l’acide sulfurique », ça se pose là…

Source : https://www.lesechos.fr/…/17034-011-ECH_deutsche-bahn–l-en…

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MAJ 12/04/2018 :

Il y a un point que je n’ai pas abordé : « Gneugneugneu ils pourraient laisser les transports gratuits les grévistes au lieu de nous bloquer, nous aut’ bonnes gens qu’avons rien d’mandé. Ils croivent (sic) qu’ils vont changer les choses en prenant en otage les usagers ? »

Les journalistes font encore leur travail (ça aussi, on pourrait en faire un statut), encore faut-il prendre le temps de les lire : « SNCF, Grève, Gratuit » sur la barre de recherche, etc. Temps utilisé : 3 minutes (recherche, lecture et douche comprise).

En gros : si les contrôleurs allaient à l’encontre de ce pourquoi ils sont payés, ils pourraient être licenciés pour faute lourde. L’idée fait débat au sein des grévistes (preuve de leur bonne foi), mais ils sont bloqués par la loi. Une fois encore, les responsables ne sont pas les victimes…

Toujours dans le même registre – ignorance, désinformation, appelez ça comme bon vous chante – la « prime charbon » n’existe plus… Et ce depuis le début des années 1970. Attention, ne votez pas pour René Coty aux prochaines élections cantonales. Sinon, vous êtes au courant pour John Lennon ?

Sources :

– Pourquoi la grève ne peut se faire par la « gratuité » :
http://www.lemonde.fr/…/idee-recue-sur-la-greve-n-5-les-syn…

– La « Prime Charbon » :
http://mobile.lemonde.fr/…/prime-charbon-prime-pour-absence…

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